L’EPS au temps du corona : une légitimité fragile en question
Mais de quelle légitimité s’agit-il ? L’intégration de l’EPS au système éducatif marocain comme discipline scolaire est concomitante à l’ouverture de l’école nationale marocaine en 1963 ; et depuis, elle y est fortement insérée. Aborder la problématique le la légitimité et de l’identité nous parait être possible au de-là de la dimension institutionnelle et règlementaire de la discipline.
¨L’identité de l’EPS est un processus complexe, dynamique, inachevé et sans cesse reproblématisé par la dialectique de la conformité et de la différenciation¨ (J.P Clément 1993). Se situant à l’interface du système scolaire (l’école) et du système culturel (les pratiques corporelles), l’EPS a toujours vécu une crise identitaire et la nécessité de se justifier socialement et faire preuve de son utilité sociale. Tantôt, elle est appelée, à intégrer les paramètres de ¨l’orthodoxie scolaire¨ (P. Arnaud 85) pour ressembler aux autres disciplines scolaires dont l’objet d’enseignement est le ¨savoir savant¨ et prouver son mérite d’acquérir le statut de ¨discipline d’enseignement¨ à part entière. Tantôt, elle est sommée afficher sa singularité à poursuivre les finalités éducatives car sa pertinence est quasiment ¨motrice¨, ce qui fait d’elle une discipline entièrement à part (A. Hebrard 1995). Au bout du compte, n’est-elle pas ¨le domaine de la conduite motrice¨ ? (P. Parlebas 1981).
Sur un autre volet, celui des objets et moyens d’enseignement, l’EPS est aussi appelée à prendre en compte l’évolution des pratiques corporelles, leur flux et leur diversité sans tenter de les transmettre à leur état brut. La transposition didactique, et ce depuis le début des années 90, offre à la discipline les outils de domestication de ces pratiques sociales de références (J.L Martinand 86) en tant qu’objets culturels pour les faire rentrer dans l’enceinte de l’école sous forme de contenus d’enseignement. Didactique de l’EPS ou didactique des APS, toutes les techniques sont bonnes pour marquer la distanciation de la discipline par rapport aux pratiques physiques sportives et de loisirs qu’elle est censée enseigner.
A l’heure actuelle, le monde vit une crise sanitaire de grande ampleur. La maladie du corona virus (covid-19) s’est répandue dans le monde entier au point de la qualifier de ¨pandémie¨ par l’OMS. Le nouveau virus impose ses lois et bouleverse, au quotidien et en profondeur, nos habitudes et nos modes de pensée et d’action. Sachant par ailleurs que ce fléau peut perdurer des mois et des mois, la santé aussi bien physique, morale que sociale des individus se trouvera profondément mise en péril. La santé n’est plus l’absence de maladie ou d’infirmité, mais un état général de bien être (OMS 93). Cela nous interroge, nous, professionnels de l’EPS, sur les procédures et les moyens à mettre en œuvre pour préserver la santé de nos élèves et veiller sur leur qualité de vie (op.2007) ainsi que de les épargner des effets négatifs d’une sédentarité apparemment inévitable.
S’agit-il d’assoir une nouvelle identité disciplinaire avec de nouveaux rapports au corps, à l’institution scolaire et aux objets culturels ? Faut-il redéfinir une EPS s’adaptant mieux à l’état de confinement avec toutes les contraintes qu’il nous impose?
Essayons d’expertiser quelques idées à la lumière de l’évolution historiques de la discipline
A- L’EPS des années 60 : une EPS hygiénique
¨ Etre fort pour être utile¨ (G. Hebert 1920), c’est être fort pour servir la patrie. Telle était la doctrine éducative de l’époque. Or, bâtir un corps fort, sain et productif résumait une volonté politique de redressement du pays de l’après-indépendance aussi bien physiquement que moralement et provoquer son essor économique et social. L’EPS (l’éducation physique et sport) répondait à cette tendance par une préparation rigoureuse du futur citoyen. Acquérir une bonne santé, intégrer les valeurs morales, développer les qualités du VARF (vitesse, adresse, résistance et force) et rechercher les bonnes attitudes du corps constituaient les buts de l’EPS (IO. 64). Pour les atteindre, trois catégories de pratiques étaient programmées : la gymnastique construite (méthode suédoise), la gymnastique fonctionnelle (méthode naturelle) et l’initiation sportive (méthode sportive) dans le cadre d’une pédagogie directive.
B- L’EPS des années 70 et 80 : une EPS sportive
Les OP 71 ont marqué l’entrée en lisse du sport comme objet d’enseignement. Le mythe du sport hantait l’esprit des décideurs politiques qui voyaient en lui un levier puissant de propagande idéologique et un symbole de développement et de progrès. D’ailleurs, cela justifie - surtout pendant les années 80 - l’organisation, par le Maroc, de plusieurs événements sportifs de grandes envergures et la participation massive et ponctuelle des sportifs marocains aux différents championnats arabes, continentaux et mondiaux. L’engouement sportif est sans précédent et les résultats spectaculaires réalisés par nos champions permettent de qualifier cette époque d’âge d’or du sport marocain. Le sport est devenu aussi bien un fait social qu’un fait de civilisation et symbole de modernité. Il est aussi perçu comme vecteur de compétition, de performance et support de la doctrine productiviste. L’EPS était alors contrainte de réagir et de se procurer une nouvelle identité. Les IO 77, 82 et 87 mettaient au goût du jour les objectifs, les moyens et l’organisation pédagogique des séances d’EPS car le sport contient des vertus qui méritent d’être enseignées. La dérive : le sport gagne de plus en plus du terrain dans nos établissements scolaires et prend de plus en plus de l’ampleur au point de se confonde avec la discipline elle-même!
C- L’EPS des années 90 et 2000 : une EPS scolaire
L’invasion sportive des années 80 n’est plus prégnante. Dans un contexte marqué par l’atténuation de l’idéologie du progrès (crise économique) et de la concurrence incontrôlée qui a d’ailleurs entrainé plusieurs dérives (dopage, violence, hooliganisme,...), le sport est devenu moins présentable de point de vue éducatif. On préfère parler d’une gestion rationnelle des ressources plutôt que d’une dissipation sportive (D. Délignères 93). En plus, l’institution scolaire, de par ses conditions de pratique (horaire, infrastructure, équipements, effectifs,..) est loin de prétendre avoir le monopole de diffusion d’une culture sportive appropriée.
L’alternative de la sportivisation a fragilisé le statut disciplinaire de l’EPS et a donc menacé son statut au sein de l’école. C’est ainsi qu’elle a réagi par un processus actif de distanciation par rapport au sport en puisant dans sa composante scolaire : élaborer et hiérarchiser des contenus d’enseignement a l’instar des autres disciplines scolaires. L’avènement de la didactique, la taxonomie des objectifs pédagogiques et l’usage de la PPO (pédagogie par objectifs) en tant que technologie éducative prometteuse (D. Délignères 95) ont permis à l’EPS d’acquérir le statut de¨ discipline d’enseignement faisant partie intégrante de l’éducation générale ¨(OP. 91).
Désormais, il ne s’agit plus de séances de sport mais de leçons d’EPS (P. Seners 88) s’adressant à l’apprenant dans son intégralité (objectifs psychomoteur, cognitif et socio-affectif) et faisant usage d’une panoplie étendue d’activités sportives, traditionnelles et modernes.
D- L’EPS de l’après op 2007-2009 : une EPS encyclopédique
L’identité de l’EPS, cette dernière décennie, est le résultat d’un large chantier de réformes couronné par la diffusion d’un ensemble de textes législatifs. Une redéfinition de la discipline est amorcée tout d’abord par la CNEF (charte nationale d’éducation et de formation 2000), en passant par le livre blanc (2002) pour déboucher finalement vers les op 2007 au niveau du cycle qualifiant et celles de 2009 au niveau du cycle collégial.
L’EPS est aussi bien une ¨matière scolaire¨ qu’une véritable ¨discipline d’enseignement¨(op 2007, page 6). Elle pu intégrer tous les paramètres de son ¨homomorphisme scolaire¨ (P. Arnaud 90) : elle poursuit les mêmes finalités éducatives assignées aux autres matières, fait usage de la didactique pour transformer les objets culturels en contenus d’enseignements, empreinte les mêmes méthodes pédagogiques et se dote, et c’est d’ailleurs la nouveauté, d’un curriculum détaillé et d’un programme national.
Au-delà d’un usage excessif de la didactique qui a entrainé les enseignants dans la dérive didactique : le didactisme, ce ne sont donc plus les savoirs seuls qui orientent l’action de l’enseignant (quoi enseigner?) mais c’est bien le sort de l’élève qui vit des expériences motrices riches et variées (comment faire apprendre?). En plus, il ne s’agit pas d’enseigner uniquement des savoirs mais bien de développer chez les apprenants des compétences disciplinaires et transversales, réinvestissables au-delà de la situation où elles étaient apprises. Une approche par compétences (APP) qui vise le développement harmonieux de compétences culturelle, méthodologique, stratégique, communicationnelle et technologique.
Sans perdre de vue sa pertinence motrice et sa volonté de garantir la réussite de tous et de chacun (pédagogie de réussite), l’EPS tente - à travers une culture corporelle plurielle : les APSA - de donner des réponses originales aux questions de santé, de pratique durable, de citoyenneté et de socialisation, de lutte contre la violence et les comportements d’incivilité.
E- EPS et confinement : une alternative
Comme nous l’avons déjà signalé, la conjoncture actuelle, marquée par un état de confinement total, nous impose des modes de pensée et d’actions inhabituels, entre autres l’enseignement à distance est devenu l’unique moyen d’assurer la continuité pédagogique de nos élèves dans leurs foyers.
Qu’en est-il de l’EPS ? Pourquoi doit-elle réagir et s’assigner une nouvelle mission (utilité sociale)? Peut-elle, à l’instar des autres matières, assurer un enseignement à distance et faire preuve d’une faculté d’adaptation ? A-t-elle les moyens d’y parvenir ?
1-Les maladies de l’hypokinésie (manque d’activité) :
Le corps humain est biologiquement conçu pour bouger, du moment où il n’est pas tenu actif, il commence à se détériorer. Les risques pour la santé sont alors liés à l’inactivité physique (Laferrière 1997). Plusieurs maladies coronariennes et cérébro-vasculaires, l’obésité, l’anxiété, l’inhibition psychique, la dépression…etc ont été renommées les maladies de l’hypokinésie (Larouche 2000). La période de confinement limite davantage l’activité des individus, et nos élèves courent les risques potentiels d’une sédentarité imposée. A titre illustratif, après six semaines d’inactivité complète, on assiste à une décalcification osseuse de l’ordre de 10°/° (Laferrière 1997). L’EPS a le devoir de réagir puisqu’elle vise d’une manière explicite la santé des élèves (op 2007 pages 6et7).
2-EPS et objets culturels : les pratiques d’entretien corporel
Les pratiques d’entretien corporel sont associées dans l’esprit du public à la préservation de la santé du pratiquant. Malheureusement, ils sont peu ou pas du tout valorisés par les enseignants d’EPS. Elles paraissent un peu louches et peu évidentes à enseigner (G. Cogérino 2001). D’ailleurs, il est très rare de les voir parmi les activités programmées par les équipes pédagogiques.
Vu leur contribution potentielle à la santé, ces activités peuvent aisément justifier leur place en EPS surtout pendant cette période de confinement. Elles sont un moyen efficace pour entretenir le potentiel moteur et maintenir les systèmes cardiovasculaire et ventilatoire en bon état de fonctionnement. Outre plus, elles représentent un bon moyen de lutter contre le stress et les sentiments d’hostilité et de frustration et un palliatif aux efforts intellectuels suscités par les autres matières enseignées toutes à distance dans le cadre de la continuité pédagogique. L’exercice physique en général et les pratiques de détente et de relaxation en particulier, permettent de secréter les hormones de bonheur : les endorphines (Laferrière 1997) et permettent aux individus de réinvestir dans la vie quotidienne.
Trois grands ensembles peuvent être identifiés (G. Cogérino 2001) :
- Les exercices de développement et de maintien de l’endurance cardiovasculaire (corde, course, vélo, tapis roulant, aérobic, cardio-training..).
- Les exercices de développement et de maintien des capacités de force, de souplesse et d’endurance musculaire (musculation naturelle ou avec engins, étirement,..).
- Les activités de construction de l’équilibre psychosomatique, de récupération et de détente (stretching, les gymnastiques relaxantes,..).
Il nous parait alors que cette catégories de pratiques, dans leur majeure partie, semblent adaptées à la situation de confinement où plusieurs contraintes d’ordre humain, spatial et matériel s’imposent à une pratique physique habituelle. D’ailleurs, il n’est pas scandaleux de s’éloigner temporairement du sport et de découvrir de nouvelles pratiques avec toute la charge motivationnelle que cela peut provoquer (D.E. Berlyne 1970).
3-L’enseignement à distance : une éducation à l’autonomie et à la responsabilité
Recommandée par les op 2007(buts de l’EPS), l’éducation à l’autonomie suppose ¨le comportement d’un individu qui n’obéit qu’aux lois qu’il s’est donné ou aux lois dont il a compris et accepté la valeur¨ (dictionnaire de psychologie 1979).
L’absence des conditions physiques et symboliques qui caractérisent la mise en place d’une leçon d’EPS (enseignant, camarades de classes, plateaux de travail et matériel, horaire établi..) exigent le développement chez l’élève des compétences d’ordre différent (méthodologiques, technologiques..). Ce dernier est appelé à prendre en compte son propre corps et à maximiser le profit des moyens de bord dont il dispose. Sa responsabilité envers sa santé et la marge de liberté dont il dispose ne font pas l’économie d’un accompagnement pédagogique de la part de l’enseignant, susceptible de lui faire profiter des bienfaits de l’exercice physique tout en préservant sa santé. Le rôle de l’enseignant à ce stade est d’une importance capitale. Il doit le renseigner sur l’espace d’évolution et le matériel nécessaire, sur les modes d’entrée en activité et de récupération, sur la durée, l’intensité et la fréquence des exercices, sur le dosage des efforts, sur le bon usage des indicateurs corporels (pouls cardiaque, sueur, pâleur..) et sur l’exécution correcte des exercices.
Dans une perspective de préparation à la vie physique, l’élève doit réaliser avec l’enseignant ce qu’il réalisera seul et plus tard (L.Vygotsky 1985) à condition que cela requiert un sens et procure un plaisir ( M .Develay 1992). L’enseignant est donc invité à dresser des contenus numériques adaptés (au stade de développement de l’élève et aux conditions particulières de pratique), significatifs (prise de conscience par l’élève des effets recherchés) et motivants (nouveauté, variété, plaisir ludique, usage de la musique, danse..) pour assurer l’investissement et l’engagement des apprenants.
Conclusion : Une EPS numérique?
L’enseignement à distance demande un outillage spécial (PC, tablette, téléphone portable..), une plateforme numérique, une connexion au réseau internet et certaines habiletés techniques. Est-ce-que tous les élèves satisfont ces conditions ? Absolument pas ! Est-ce-que tous les enseignants d’EPS sont prêts à adhérer à cette nouvelle identité professionnelle? Certainement pas !
Il est bien clair que le système n’est pas bien préparé à assurer lucidement et efficacement la continuité pédagogique de nos enfants dans la situation de confinement.
Doit-on s’arrêter d’imaginer, de réfléchir, de concevoir, d’inventer et de produire? Décidément..Non !
En définitive, nous avons soutenu l’idée selon laquelle l’EPS, ou à vrai dire le ¨système EPS¨, a toujours négocié les rapports qu’entretient la discipline avec l’école et les pratiques selon les déterminants conjoncturels de chaque époque. Elle possède intrinsèquement la capacité de briser les restrictions imposées par l’état actuel de confinement et d’explorer ainsi un nouvel horizon identitaire.
Sur un autre volet, celui des objets et moyens d’enseignement, l’EPS est aussi appelée à prendre en compte l’évolution des pratiques corporelles, leur flux et leur diversité sans tenter de les transmettre à leur état brut. La transposition didactique, et ce depuis le début des années 90, offre à la discipline les outils de domestication de ces pratiques sociales de références (J.L Martinand 86) en tant qu’objets culturels pour les faire rentrer dans l’enceinte de l’école sous forme de contenus d’enseignement. Didactique de l’EPS ou didactique des APS, toutes les techniques sont bonnes pour marquer la distanciation de la discipline par rapport aux pratiques physiques sportives et de loisirs qu’elle est censée enseigner.
A l’heure actuelle, le monde vit une crise sanitaire de grande ampleur. La maladie du corona virus (covid-19) s’est répandue dans le monde entier au point de la qualifier de ¨pandémie¨ par l’OMS. Le nouveau virus impose ses lois et bouleverse, au quotidien et en profondeur, nos habitudes et nos modes de pensée et d’action. Sachant par ailleurs que ce fléau peut perdurer des mois et des mois, la santé aussi bien physique, morale que sociale des individus se trouvera profondément mise en péril. La santé n’est plus l’absence de maladie ou d’infirmité, mais un état général de bien être (OMS 93). Cela nous interroge, nous, professionnels de l’EPS, sur les procédures et les moyens à mettre en œuvre pour préserver la santé de nos élèves et veiller sur leur qualité de vie (op.2007) ainsi que de les épargner des effets négatifs d’une sédentarité apparemment inévitable.
S’agit-il d’assoir une nouvelle identité disciplinaire avec de nouveaux rapports au corps, à l’institution scolaire et aux objets culturels ? Faut-il redéfinir une EPS s’adaptant mieux à l’état de confinement avec toutes les contraintes qu’il nous impose?
Essayons d’expertiser quelques idées à la lumière de l’évolution historiques de la discipline
A- L’EPS des années 60 : une EPS hygiénique
¨ Etre fort pour être utile¨ (G. Hebert 1920), c’est être fort pour servir la patrie. Telle était la doctrine éducative de l’époque. Or, bâtir un corps fort, sain et productif résumait une volonté politique de redressement du pays de l’après-indépendance aussi bien physiquement que moralement et provoquer son essor économique et social. L’EPS (l’éducation physique et sport) répondait à cette tendance par une préparation rigoureuse du futur citoyen. Acquérir une bonne santé, intégrer les valeurs morales, développer les qualités du VARF (vitesse, adresse, résistance et force) et rechercher les bonnes attitudes du corps constituaient les buts de l’EPS (IO. 64). Pour les atteindre, trois catégories de pratiques étaient programmées : la gymnastique construite (méthode suédoise), la gymnastique fonctionnelle (méthode naturelle) et l’initiation sportive (méthode sportive) dans le cadre d’une pédagogie directive.
B- L’EPS des années 70 et 80 : une EPS sportive
Les OP 71 ont marqué l’entrée en lisse du sport comme objet d’enseignement. Le mythe du sport hantait l’esprit des décideurs politiques qui voyaient en lui un levier puissant de propagande idéologique et un symbole de développement et de progrès. D’ailleurs, cela justifie - surtout pendant les années 80 - l’organisation, par le Maroc, de plusieurs événements sportifs de grandes envergures et la participation massive et ponctuelle des sportifs marocains aux différents championnats arabes, continentaux et mondiaux. L’engouement sportif est sans précédent et les résultats spectaculaires réalisés par nos champions permettent de qualifier cette époque d’âge d’or du sport marocain. Le sport est devenu aussi bien un fait social qu’un fait de civilisation et symbole de modernité. Il est aussi perçu comme vecteur de compétition, de performance et support de la doctrine productiviste. L’EPS était alors contrainte de réagir et de se procurer une nouvelle identité. Les IO 77, 82 et 87 mettaient au goût du jour les objectifs, les moyens et l’organisation pédagogique des séances d’EPS car le sport contient des vertus qui méritent d’être enseignées. La dérive : le sport gagne de plus en plus du terrain dans nos établissements scolaires et prend de plus en plus de l’ampleur au point de se confonde avec la discipline elle-même!
C- L’EPS des années 90 et 2000 : une EPS scolaire
L’invasion sportive des années 80 n’est plus prégnante. Dans un contexte marqué par l’atténuation de l’idéologie du progrès (crise économique) et de la concurrence incontrôlée qui a d’ailleurs entrainé plusieurs dérives (dopage, violence, hooliganisme,...), le sport est devenu moins présentable de point de vue éducatif. On préfère parler d’une gestion rationnelle des ressources plutôt que d’une dissipation sportive (D. Délignères 93). En plus, l’institution scolaire, de par ses conditions de pratique (horaire, infrastructure, équipements, effectifs,..) est loin de prétendre avoir le monopole de diffusion d’une culture sportive appropriée.
L’alternative de la sportivisation a fragilisé le statut disciplinaire de l’EPS et a donc menacé son statut au sein de l’école. C’est ainsi qu’elle a réagi par un processus actif de distanciation par rapport au sport en puisant dans sa composante scolaire : élaborer et hiérarchiser des contenus d’enseignement a l’instar des autres disciplines scolaires. L’avènement de la didactique, la taxonomie des objectifs pédagogiques et l’usage de la PPO (pédagogie par objectifs) en tant que technologie éducative prometteuse (D. Délignères 95) ont permis à l’EPS d’acquérir le statut de¨ discipline d’enseignement faisant partie intégrante de l’éducation générale ¨(OP. 91).
Désormais, il ne s’agit plus de séances de sport mais de leçons d’EPS (P. Seners 88) s’adressant à l’apprenant dans son intégralité (objectifs psychomoteur, cognitif et socio-affectif) et faisant usage d’une panoplie étendue d’activités sportives, traditionnelles et modernes.
D- L’EPS de l’après op 2007-2009 : une EPS encyclopédique
L’identité de l’EPS, cette dernière décennie, est le résultat d’un large chantier de réformes couronné par la diffusion d’un ensemble de textes législatifs. Une redéfinition de la discipline est amorcée tout d’abord par la CNEF (charte nationale d’éducation et de formation 2000), en passant par le livre blanc (2002) pour déboucher finalement vers les op 2007 au niveau du cycle qualifiant et celles de 2009 au niveau du cycle collégial.
L’EPS est aussi bien une ¨matière scolaire¨ qu’une véritable ¨discipline d’enseignement¨(op 2007, page 6). Elle pu intégrer tous les paramètres de son ¨homomorphisme scolaire¨ (P. Arnaud 90) : elle poursuit les mêmes finalités éducatives assignées aux autres matières, fait usage de la didactique pour transformer les objets culturels en contenus d’enseignements, empreinte les mêmes méthodes pédagogiques et se dote, et c’est d’ailleurs la nouveauté, d’un curriculum détaillé et d’un programme national.
Au-delà d’un usage excessif de la didactique qui a entrainé les enseignants dans la dérive didactique : le didactisme, ce ne sont donc plus les savoirs seuls qui orientent l’action de l’enseignant (quoi enseigner?) mais c’est bien le sort de l’élève qui vit des expériences motrices riches et variées (comment faire apprendre?). En plus, il ne s’agit pas d’enseigner uniquement des savoirs mais bien de développer chez les apprenants des compétences disciplinaires et transversales, réinvestissables au-delà de la situation où elles étaient apprises. Une approche par compétences (APP) qui vise le développement harmonieux de compétences culturelle, méthodologique, stratégique, communicationnelle et technologique.
Sans perdre de vue sa pertinence motrice et sa volonté de garantir la réussite de tous et de chacun (pédagogie de réussite), l’EPS tente - à travers une culture corporelle plurielle : les APSA - de donner des réponses originales aux questions de santé, de pratique durable, de citoyenneté et de socialisation, de lutte contre la violence et les comportements d’incivilité.
E- EPS et confinement : une alternative
Comme nous l’avons déjà signalé, la conjoncture actuelle, marquée par un état de confinement total, nous impose des modes de pensée et d’actions inhabituels, entre autres l’enseignement à distance est devenu l’unique moyen d’assurer la continuité pédagogique de nos élèves dans leurs foyers.
Qu’en est-il de l’EPS ? Pourquoi doit-elle réagir et s’assigner une nouvelle mission (utilité sociale)? Peut-elle, à l’instar des autres matières, assurer un enseignement à distance et faire preuve d’une faculté d’adaptation ? A-t-elle les moyens d’y parvenir ?
1-Les maladies de l’hypokinésie (manque d’activité) :
Le corps humain est biologiquement conçu pour bouger, du moment où il n’est pas tenu actif, il commence à se détériorer. Les risques pour la santé sont alors liés à l’inactivité physique (Laferrière 1997). Plusieurs maladies coronariennes et cérébro-vasculaires, l’obésité, l’anxiété, l’inhibition psychique, la dépression…etc ont été renommées les maladies de l’hypokinésie (Larouche 2000). La période de confinement limite davantage l’activité des individus, et nos élèves courent les risques potentiels d’une sédentarité imposée. A titre illustratif, après six semaines d’inactivité complète, on assiste à une décalcification osseuse de l’ordre de 10°/° (Laferrière 1997). L’EPS a le devoir de réagir puisqu’elle vise d’une manière explicite la santé des élèves (op 2007 pages 6et7).
2-EPS et objets culturels : les pratiques d’entretien corporel
Les pratiques d’entretien corporel sont associées dans l’esprit du public à la préservation de la santé du pratiquant. Malheureusement, ils sont peu ou pas du tout valorisés par les enseignants d’EPS. Elles paraissent un peu louches et peu évidentes à enseigner (G. Cogérino 2001). D’ailleurs, il est très rare de les voir parmi les activités programmées par les équipes pédagogiques.
Vu leur contribution potentielle à la santé, ces activités peuvent aisément justifier leur place en EPS surtout pendant cette période de confinement. Elles sont un moyen efficace pour entretenir le potentiel moteur et maintenir les systèmes cardiovasculaire et ventilatoire en bon état de fonctionnement. Outre plus, elles représentent un bon moyen de lutter contre le stress et les sentiments d’hostilité et de frustration et un palliatif aux efforts intellectuels suscités par les autres matières enseignées toutes à distance dans le cadre de la continuité pédagogique. L’exercice physique en général et les pratiques de détente et de relaxation en particulier, permettent de secréter les hormones de bonheur : les endorphines (Laferrière 1997) et permettent aux individus de réinvestir dans la vie quotidienne.
Trois grands ensembles peuvent être identifiés (G. Cogérino 2001) :
- Les exercices de développement et de maintien de l’endurance cardiovasculaire (corde, course, vélo, tapis roulant, aérobic, cardio-training..).
- Les exercices de développement et de maintien des capacités de force, de souplesse et d’endurance musculaire (musculation naturelle ou avec engins, étirement,..).
- Les activités de construction de l’équilibre psychosomatique, de récupération et de détente (stretching, les gymnastiques relaxantes,..).
Il nous parait alors que cette catégories de pratiques, dans leur majeure partie, semblent adaptées à la situation de confinement où plusieurs contraintes d’ordre humain, spatial et matériel s’imposent à une pratique physique habituelle. D’ailleurs, il n’est pas scandaleux de s’éloigner temporairement du sport et de découvrir de nouvelles pratiques avec toute la charge motivationnelle que cela peut provoquer (D.E. Berlyne 1970).
3-L’enseignement à distance : une éducation à l’autonomie et à la responsabilité
Recommandée par les op 2007(buts de l’EPS), l’éducation à l’autonomie suppose ¨le comportement d’un individu qui n’obéit qu’aux lois qu’il s’est donné ou aux lois dont il a compris et accepté la valeur¨ (dictionnaire de psychologie 1979).
L’absence des conditions physiques et symboliques qui caractérisent la mise en place d’une leçon d’EPS (enseignant, camarades de classes, plateaux de travail et matériel, horaire établi..) exigent le développement chez l’élève des compétences d’ordre différent (méthodologiques, technologiques..). Ce dernier est appelé à prendre en compte son propre corps et à maximiser le profit des moyens de bord dont il dispose. Sa responsabilité envers sa santé et la marge de liberté dont il dispose ne font pas l’économie d’un accompagnement pédagogique de la part de l’enseignant, susceptible de lui faire profiter des bienfaits de l’exercice physique tout en préservant sa santé. Le rôle de l’enseignant à ce stade est d’une importance capitale. Il doit le renseigner sur l’espace d’évolution et le matériel nécessaire, sur les modes d’entrée en activité et de récupération, sur la durée, l’intensité et la fréquence des exercices, sur le dosage des efforts, sur le bon usage des indicateurs corporels (pouls cardiaque, sueur, pâleur..) et sur l’exécution correcte des exercices.
Dans une perspective de préparation à la vie physique, l’élève doit réaliser avec l’enseignant ce qu’il réalisera seul et plus tard (L.Vygotsky 1985) à condition que cela requiert un sens et procure un plaisir ( M .Develay 1992). L’enseignant est donc invité à dresser des contenus numériques adaptés (au stade de développement de l’élève et aux conditions particulières de pratique), significatifs (prise de conscience par l’élève des effets recherchés) et motivants (nouveauté, variété, plaisir ludique, usage de la musique, danse..) pour assurer l’investissement et l’engagement des apprenants.
Conclusion : Une EPS numérique?
L’enseignement à distance demande un outillage spécial (PC, tablette, téléphone portable..), une plateforme numérique, une connexion au réseau internet et certaines habiletés techniques. Est-ce-que tous les élèves satisfont ces conditions ? Absolument pas ! Est-ce-que tous les enseignants d’EPS sont prêts à adhérer à cette nouvelle identité professionnelle? Certainement pas !
Il est bien clair que le système n’est pas bien préparé à assurer lucidement et efficacement la continuité pédagogique de nos enfants dans la situation de confinement.
Doit-on s’arrêter d’imaginer, de réfléchir, de concevoir, d’inventer et de produire? Décidément..Non !
En définitive, nous avons soutenu l’idée selon laquelle l’EPS, ou à vrai dire le ¨système EPS¨, a toujours négocié les rapports qu’entretient la discipline avec l’école et les pratiques selon les déterminants conjoncturels de chaque époque. Elle possède intrinsèquement la capacité de briser les restrictions imposées par l’état actuel de confinement et d’explorer ainsi un nouvel horizon identitaire.
Mr. CHHITI Rédouane (Agregé d'eps et inspecteur pédagogique)
AREF : Fès-Meknès
Direction provinciale : Meknès
Le : 09-04-2020

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