à quoi sert l’école ?

Le rôle de l’école est bien de faire passer les individus d’un certain état de nature à un certain état de culture en leur proposant des activités où ils peuvent apprendre à connaître, à faire, à être et à entrer en interaction saine et positive avec les autres.

à quoi sert l’école

Néanmoins, faire accéder les gens à un certain état de culture et leur permettre ainsi l’expression de leur humanité et l’exercice de leur citoyenneté (enculturation) suppose de prime abord la définition de cette culture. Car pour perpétuer son existence - dans une perspective civilisationiste - chaque société, à travers son système éducatif, doit opérer des CHOIX consciencieux pour qu’elle puisse renouveler les conditions de son existence avec lucidité et clairvoyance. La culture scolaire nous interpelle alors à plusieurs niveaux et du coup, d’innombrables questions s’imposent : est-elle, ou devrait-elle être une culture simple ou composite? Disciplinaire ou transversale ? Populaire ou élitiste? Instrumentale ou gratuite ? Traditionnaliste ou moderniste ? Locale ou universelle ? Mais tout d’abord, s’agit-il d’une culture scolaire ou des cultures scolaires?
La réponse à ces questions est d’autant plus complexe que la définition même du concept requiert plusieurs sens. La culture est une notion spongieuse et polymorphe et sa définition varie selon l’angle d’étude ou d’approche que l’on empreinte : philosophique, idéologique, anthropologique, sociologique, ethnique, historique ou même économique.
Dans son acceptation la plus simple et la plus répandue, la culture désigne tout ce qui reste après avoir tout oublié. Elle renvoie aussi aux savoirs littéraires, artistiques et scientifiques que cultive la classe aisée et le milieu savant et dont l’accès est limité et sélectif (culture élitiste). Elle peut désigner aussi l’ensemble des coutumes, croyances, mœurs, techniques, activités du corps et systèmes symboliques qui caractérisent un groupe social à une époque déterminée (culture populaire).
La relation de l’école à la culture est concomitante à son existence. Et si elle est censée pérenniser la société (initier son essor et promouvoir sa civilisation), l’école, à travers la culture véhiculée, a toujours cherché, tacitement, à pérenniser l’état (système politique) ou à défendre les intérêts de certaines idiologies. Décidemment, l’école marocaine ne fait pas exception à cette règle.
Depuis la nuit des temps et jusqu’à l’époque du protectorat (sous la responsabilité du résident Lyautey dès 1912), l’accès des marocains à l’instruction était limité. Seule une infime minorité pouvait accéder à l’école en général et à l’enseignement secondaire et supérieur en particulier. La période coloniale était marquée par un système éducatif à trois vitesses: l’école des fils de notables, l’école franco-berbère, et l’école traditionnelle (religieuse). Certes, l’intention du colon français était bien de porter atteinte au tissu social marocain par une ségrégation culturelle opérée sur la base de composantes ethniques et religieuses (diviser pour régner). De surplus, la préparation de l’élite politique et économique qui pourrait défendre ses intérêts se faisait dans les écoles des fils de  notables (acculturation voire même déculturation : franciser les jeunes marocains) tandis que l’enseignement professionnel et agricole permettait la formation d’une main d’œuvre qualifiée. Ainsi, furent établies les dualités : sciences - lettres /religion et français-arabe assorties d’un système symbolique et représentationnel : le français et la science sont les leviers du progrès et de la civilisation tandis que l’arabe et la religion (l’islam), si elles permettent le ressourcement et l’investissement dans la culture ancestrale, demeurent insuffisantes pour le développement et la modernité. La culture musulmane n’était-elle pas le noyau créateur et civilisateur de la société marocaine ? (D.Rivet ¨école et colonisation au Maroc¨ 1976). Malheureusement, ces dualités coloniales se sont maintenues et perpétuées jusqu’à nos jours !!
Au lendemain de l’indépendance, et précisément en 1957, les décideurs politiques ont opté pour une réforme en profondeur du système éducatif  hérité de l’occupant français. Une doctrine éducative fut ainsi promulguée aussi bien pour redresser le pays socialement et économiquement que pour promouvoir une école nationale marocaine (1963) qui incarne les principes de l’arabisation, l’unification et la généralisation de l’enseignement ainsi que la marocanisation des cadres.
Jusqu’aux années 70, l’école marocaine a réussi, malgré les déficits considérables du départ, et en dépit de la croissance démographique, à élargir l’accès des marocains à l’instruction et à doter l’administration et l’économie marocaine des cadres nécessaires à la relève. L’école constituait aussi le moyen de mobilité sociale et d’ouverture sur le monde (culture occidentale/exogène).
Néanmoins, depuis les années 80 jusqu’à nos jours, le système éducatif est entré dans une crise de longue haleine à cause d’une série de réformes parfois improvisées et le plus souvent inachevées (arabisation forcée, marocanisation par substitution, généralisation conçue en dehors des exigences de la qualité) et dont  les symptômes les plus patents sont : les déperditions scolaires, la faiblesse des apprentissages fondamentaux, le chômage des diplômés, le recul de l’esprit critique et du sens civique (Rapport du cinquantenaire 2006).
Le système a fini par produire une école à plusieurs vitesses dont la performance se dégrade au fur et à mesure que l’on s’éloigne des grandes agglomérations urbaines. Il y en a de toutes les couleurs : une école publique épuisée et au bout du souffle, des écoles des missions étrangères qui enseignent des apprenants d’apparence marocaine mais qui incarnent religieusement la civilisation et la culture occidentale et enfin,  une école privée qui rassemble elle-même une multitude d’écoles et qui sont soumises aux lois du marché (offre et demande) et où la qualité de  l’éducation et l’instruction (marchandise) dépend du montant à verser chaque mois au service financier d’une institution dite : sociale.
Face à un paysage éducatif absurde, peut-on vraiment relater l’enjeu d’unification de l’enseignement? Une prétendue unification de la culture scolaire qui soit susceptible de bâtir un citoyen marocain (et non pas des citoyens marocains réunis uniquement par l’alliance géographique) attaché à la civilisation ¨indigène¨ et ¨endogène¨ mais aussi un citoyen du monde réceptif et ouvert sur la civilisation humaine?
Depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, entre autres la problématique de la culture scolaire a fait couler beaucoup d’encre, a suscité plusieurs débats (et faux-débats bien sûr !) et a fait émerger neuf projets de réformes sans pour autant parvenir à opérer des CHOIX culturels judicieux et réfléchis. Des choix susceptibles de pourvoir les générations montantes d’un socle culturel solide leur permettant d’entrer de plain-pied dans l’ère de la globalisation tout en étant ¨immunisé¨ de ses dérives ¨culturelles¨.

Mr. Chhiti Redouane (Inspecteur pédagogique et Agrégé d’EPS)
AREF : Fès-Meknès
Direction provinciale : Meknès

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